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Chapitre IV

Communion

En bref : Méthodes de consommation, amour, sentiments et partage, la claque chinoise, l'enfance et la mère.

Extrait du chapitre Communion / Sous-partie Ensemble de A à Z

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   Un charme impérissable demeure au sein des bars PMU, assis au comptoir sous l’œil affuté d’un patron râleur, l’abondance de tickets de loto, une bavette à l’échalote saignante et un verre de pinot noir... Depuis toujours, le bistrot du coin incarne les retrouvailles des classes prolétaires, des sortes de réunions populistes autour de discussions et de têtes familières, orchestrées par des menus «dimanchards», francs et bons. Symbolisées par une intense dose d’humanisme, les cantines ouvrières et les offres «à la bonne franquette», ces fusions entre amis le temps d’une pause déjeuner ou d’un match à la télévision, sont les défenseurs de la communion et de l’amour des choses simples. Le concept traverse bien évidemment les frontières, et partout, les adresses du genre semblent honorer de grandes valeurs, qu’elles soient culinaires ou humaines...

   À Buenos Aires, cachée sous un échafaudage du quartier de Microcentro, une parilla de quinze mètres carrez dévoile en son cœur une effrayante montagne de viandes fumantes. Au comptoir, les mêmes visages qu’hier et que demain, sirotant l’unique référence de la carte, nationale bien sûr : Estancia Mendoza, millésime 2012.

 

   Sur les braises, les traditionnels asados, pollos et chorizos grillent, amoureusement sublimés par un chimichurri : ail, piment fort et persil frais. Au mur sont fièrement affichées des photos de Maradona, d’autres cadres du club San Lorenzo de Almagro, de la vierge Marie et du pape. L’atmosphère ambiante est ici terriblement masculine, à la fois brute et crasseuse, comme en témoignent les mains ouvrières encore souillées par le chantier voisin. Dans un tel contexte, il est évident que la saleté a du charme, car le tablier du cuisinier, l’invasion des fumées noires, les odeurs de feu et la tache de graisse sur la monnaie rendue sont de précieux détails... La communion est ici reine, au-delà même du contenu de chaque assiette.

 

Cela dit, sur le grill, l’offre est soignée et la diversité affolante, si bien que tous les animaux et les parties du corps semblent présents, toujours accompagnés d’une purée maison, d’une salade et d’une corbeille de pain. Sur les étagères, les restes de bouteilles de vin reviennent stratégiquement à leurs propriétaires, qui plus est lorsque Sergio, émouvant de fidélité, déclare au terme de son déjeuner : «Tu me la mets de côté pour demain celle-là, je ne vais pas tout boire aujourd’hui...». Un rire résonne enfin, une poignée de main sincère et instinctive conclut la scène, pleine de plâtre d’un côté, pleine de jus de viande de l’autre...

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